Transmedia, crossmedia, multimedia, plurimedia… Et si nous devions expliquer ces notions à quelqu’un…
par Laurent Guérin , publié le 29.11.2010
Transmedia, crossmedia, multimedia, plurimedia… Et si nous devions expliquer ces notions à quelqu’un qui travaille dans un domaine d’activité complétement éloigné. Et si nous devions décrypter ce charabia avant-gardiste à un notaire ou à un enfant de 6 ans ? Voici le point de départ proposé par Laurent Guérin (cofondateur de citymoviz.tv, coproducteur de Detective Avenue qui va passer en revue les innovations des dix dernières années et les nouveaux comportements qui en découlent pour les spectateurs du XXIème siècle.
L?autre soir, un ami notaire que je n?avais pas vu depuis 10 ans me demanda poliment ce que je devenais. Je fabrique des programmes transmedia, lui répondis-je après qu?il m?a con?é que les deux dernières lois sur le divorce -sa spécialité- étaient les éléments récents qui avaient le plus fait évoluer son métier.
C?est quoi la différence avec le multimédia ? osa-t-il. J’avoue ne pas avoir eu le courage de lui expliquer que le mot “multimédia” était un terme hérité des années 80 et 90, du Minitel et du CD-Rom, tombé en désuétude malgré son modernisme, et qu’on lui préférait désormais crossmedia, voire même, en étant à la pointe des publications d’Henry Jenkins et des productions de Jeff Gomez -deux évangélistes du mots-, “transmedia”.
Je lui résumai la différence entre “crossmedia”, hérité de la publicité et de la presse, “le même contenu / message, sur de multiples supports” et “transmedia” : “des contenus différents selon chaque support, contribuant au final à un programme unique” en deux phrases simplistes :
- Le crossmedia, c’est 100 exemplaires d’un puzzle ayant une pièce unique.
- Le transmedia, c’est 100 pièces différentes formant un puzzle unique.
Mais au lieu de lui expliquer le mot, son origine et sa définition avec des slides power point, je préférai lui parler du contexte et me lançai alors dans une longue discussion pédagogique -du moins l’espérai-je- dont je vous livre quelques extraits. Je commençai par lui raconter qu?au cours des 10 dernières années, les inventions et innovations technologiques avaient révolutionné les comportements des utilisateurs en terme de divertissement notamment : l?internet à haut débit, la TNT, les sites de partage de vidéos, les réseaux sociaux, les téléphones portables et smartphones, les consoles de jeu accessibles à tous, les tablettes : autant d’éléments qui ont modifié les habitudes de divertissement, d’information, de communication et d’interaction, de partage, de jeu et aussi d’achat.
Je conclus cette introduction en lui précisant que la vidéo représentait désormais plus de 50% du tra?c internet global. Selon Cisco, elle représentera 91% du trafic global en 2014, et les appareils mobiles dépasseront à ce moment là les ordinateurs traditionnels pour accéder à Internet.
Par ailleurs lui dis-je, et pour faire simple, les chaînes de télévision historiques ont vu leur audience baisser de manière spectaculaire (de -15% à -30% selon les chaînes) sur ces 10 dernières années justement.
C’est la fin de la télé ? me demanda-t-il.
Absolument pas et bien au contraire. Les chaînes historiques ont perdu de l’audience car l’offre télévisée a complètement explosé avec l’arrivée de la TNT. Mais contrairement aux idées reçues, internet n’a pas détourné les téléspectateurs de leurs postes. La durée d’écoute quotidienne moyenne de la télévision est même toujours en légère progression, à 3h25 par jour en 2009 (France).
Mais en plus d’être dispersée, l’audience est multitâche. Surtout l’audience jeune. Et cette audience jeune d’aujourd’hui, et bien c’est la ménagère de demain. Cet adolescent qui regarde “La Nouvelle Star” en envoyant des SMS, en surfant sur Youtube et en publiant un statut sur Facebook, c’est une mine d’or. De même que sa mère -la ménagère actuelle- qui s’est faite happée par Farmville ou son père, ex-”adulescent” à la quarantaine passée qui ne se déplace plus sans son smartphone…
Tous ces nouveaux outils apparus depuis 10 ans, il les ont adoptés presque au delà des espérance et ils s’en servent de manière quotidienne. Normal.
Comment peuvent-ils se contenter désormais d’un divertissement à un seul étage ?
Les programmes transmedia répondent à deux obligations : aller chercher une audience là où elle est, et lui fournir une expérience riche et multitâche, adaptée à son comportement.
On peut parler d’un divertissement plus “interactif”.
Personnellement, j’aime employer le terme “active contents” pour désigner cette nouvelle forme de contenus : des contenus qui rendent les spectateurs actifs.
J’aime parler de spectateurs, voire d’”active viewers”, et non plus d’internautes ou de téléspectateurs.
J’aime considérer télévision, smartphones et autres tablettes comme des écrans ayant des propriétés différentes. Le smartphone devient un écran individuel mobile et connecté là où la télévision est un écran plutôt collectif et dont les déclinaisons “connectées” ne sont pas encore ancrées dans un usage quotidien.
La publicité
Les plus rapides à aller chercher une audience là où elle et lui proposer une expérience riche et interactive ont été assez logiquement les annonceurs. Les deux cartons 2010 nous viennent des agences Wieden + Kennedy et Buzzman pour Old Spice et Tipp-Ex, deux campagnes interactives ayant dépassé toutes les espérances. 40 millions de vidéos vues en une semaine et 107% de ventes en plus en un mois pour Old Spice.
45 millions de vidéos vues pour Tipp Ex dans 230 pays pour une campagne qui ciblait la France et qui espérait quelques centaines de milliers de vidéos vues… C’est ce qu’on appelle le jackpot !
Les chaînes de télévision
La première étape pour les chaînes de télévision a été de mettre en place des offres de télévision de rattrapage (“catch-up TV”), afin de satisfaire un public certes dispersé, volatile et connecté, mais qui n’en est pas moins consommateur de divertissement fabriqué par des professionnels et qui conserve un attachement aux signatures. Ainsi “Secret Story”, un “OVNI du groupe TF1 sur les 15-19 ans” (pour reprendre les termes d’un cadre du groupe) réalise plus d’audience quotidienne via internet que via la télé.
En 3 ans, de 2007 à 2010, quasiment toutes les chaînes ont développé une offre de télévision de rattrapage. Médiamétrie publiera d’ailleurs prochainement les premiers chiffres d’audience de la télévision de rattrapage, intégrés dans sa “NG” : sa Nouvelle Génération de Mesure d’Audience.
La deuxième étape se joue actuellement. Les chaînes commencent à intégrer dans leurs programmes des dispositifs cross et transmedia.
Ainsi TF1 a proposé en février dernier un dispositif autour de son téléfilm “Clem”. Le blog de l’héroïne était accessible avant la diffusion en prime time. Après la diffusion, les téléspectateurs étaient invités à visionner un bonus, sorte “d’épilogue” (Clem 3 ans après) disponible uniquement sur internet. Ce bonus a généré plus d’un million de vues.
Plus récemment, la diffusion d’”un mari de trop” avec Lorie et Alain Delon a donné lieu à la création d’un blog autour de l’héroïne (modeetconfidences.com) et d’un faux web-documentaire (“Made in Mode”) dont les 4 épisodes totalisent plus modestement 200 000 vues.
Pionnier en la matière, Arte a su innover et proposer sur internet des documentaires extrêmement interactifs (“Gaza / Sderot” en 2009, “Prison Valley” en 2009), pendant que chez Canal Plus, on essaye de recruter des téléspectateurs pour les fictions maison, en lui proposant de nouvelles expériences sur internet. Si vous vous rendez sur le site de “Maison Close”, la dernière série de Canal, tout votre entourage Facebook pourrait bien voir que vous êtes devenue une fille de joie et que vous avez perdu votre pucelage dans la chambre rose…
Du côté de France 2, la chaîne propose par exemple, via le compte @franceTVDirect, de vivre en direct sur Twitter les plus grands événements France Télévision et organise -entre autres- des concours de photos, à publier via Twitter.
Tout cela pourrait paraître un peu timide, mais quel effort de la part de ces grandes institutions qui trustaient à elles seules le divertissement vidéo il y a encore 5 ans… Hors cinéma et divertissement locatif, ce dernier étant lui même un marché confronté à l’essor des nouvelles technologies, et de fait en pleine mutation…
Pour aller un cran plus loin, il faut sans doute regarder ce qui est fait chez nos amis anglo-saxons.
Avec son jeu “The Million Pound Drop” (un genre de “Qui veut gagner des millions” à l’envers : on dispose du magot d’1 million de Livres au départ du jeu, mais il ne faut pas le perdre), la chaîne anglaise Channel 4 a recruté l’ensemble de ses candidats via Facebook et Twitter. Objectif affiché : faire exploser le buzz et booster l’engagement “en ligne”. Mais ce n’est pas tout : en, vous connectant sur le site internet de l’émission à l’heure de la diffusion, vous jouez aussi -l’argent est virtuel – et passez ainsi enfin du stade passif (“je l’avais dit que c’est le Prince de Galles qui a dit ça…”) au stade actif (vous misez et vous jouez en direct, en regardant l’émission). Rendez-vous le 25 octobre pour la saison 2, en vous connectant ici : channel4.com/drop, pour ceux qui ont accès à Channel 4…
De son côté, la chaîne américaine ABC a développé une application Ipad autour de son émission “”. L’application permet d’interagir en direct avec le programme (votes, commentaires,…)
Le slogan ne peut pas être plus explicite: “Change the way you watch TV”.
Un écran dans les mains, un écran sur le mur.
Le LiveTweeting
“Change the way you watch TV” : les téléspectateurs n’ont d’ailleurs pas attendu de nouvelles applications pour cela. En France, il existe aujourd’hui un petit millier de personnes qui “live-twittent” les programmes de télévision. De “l’amour est dans le pré” (les tweets sont estampillés #adp par ceux qui les émettent) aux matchs de football de l’équipe de France (#edf) , de “l’amour est aveugle” (#laea) à “un dîner presque parfait” (#udpp), mes séances préférées étant celles de la “Nouvelle Star” (#ns). Certaines contributions sont à hurler de rire. La critique et la rigolade : deux comportements majeurs des live-tweeters français.
Autrement dit, les téléspectateurs utilisent Twitter pour se créer un divertissement supplémentaire, par dessus le divertissement original…
Des sites internet se sont d’ailleurs récemment créés permettant de partager son (www.jakaa.fr ou www.tweetyourtv.com).
Anecdotique ? Pas sûr… Lors de la dernière Coupe du Monde de Football, le match USA-Japon a généré plus 3 000 tweets à la seconde !!!
Et même si Esquire considère que seuls 10% de ces tweets sont intéressants (goo.gl/cUQ9), ils n’en démontrent pas moins un besoin de partage et d’interaction de la part des téléspectateurs.
On parle bien de divertissements à plusieurs étages, qu’ils soient organisés par leurs diffuseurs, ou à l’initiative des nos “active viewers”.
Les “nouveaux entrants”
Bien entendu, grâce à l’internet, les chaînes de télévision ne sont plus les seules à pouvoir proposer du divertissement vidéo… C’est ainsi que les marques par exemple s’y mettent progressivement. On parle alors de brand content ou de branded content. Deux exemples parmi des centaines : Philips a récemment invité les internautes à réaliser leur propres film avec dialogues imposés, pour vanter les mérites de son téléviseur 21:9 (http://www.cinema.philips.com/fr_fr/). BNP Paribas de son côté, a réussi un très beau coup en créant une websérie (Mes Colocs) et en déclinant son univers à tous niveaux (publicité, PLV en agences, site événementiel et éphémère dans Paris, projections,…).
On appelle parfois ces acteurs les nouveaux entrants, autrement dit, et selon Wikipedia, “des entreprises qui s’insérent sur un nouveau marché”. Et il n’y a pas que les marques qui arrivent sur le marché du divertissement vidéo, il y a aussi les groupes médias actifs dans la radio et la presse (RTL, Lagardère, NRJ,…), les grands acteurs du web (Youtube, Dailymotion, Free, Msn, Yahoo, Allociné…) et les opérateurs (Orange, SFR, Bouygues,…), pour ne citer que ces trois catégories…
Excuse-moi Laurent, mais le temps passe, j’ai fini ma troisième bière, et je ne sais toujours pas ce que tu fais… fit mon ami notaire.
Il était encore là. C’est fou le pouvoir du transmédia…
Le programme que je produis en ce moment est un mélange de fiction et de jeu, dans lequel tu devras aider l’héroïne à découvrir la vérité sur la disparition de sa soeur, lui précisai-je alors.
Tu auras accès à des vidéos, des jeux de fouilles, des défis quotidiens. Tu pourras aussi écouter les messages téléphoniques laissés à l’héroïne, recevoir des SMS d’un mystérieux indicateur, dénicher des contenus exclusifs à l’aide de flashcodes, ou encore consulter les profils Facebook des personnages de l’histoire… Tu risques même d’être en communication directe avec l’héroïne…
Raconte, raconte, me dit-il impatient…
La prochaine fois mon ami, la prochaine fois, lui promis-je avec un air malicieux…
Une réponse à “Transmedia, crossmedia, multimedia, plurimedia… Et si nous devions expliquer ces notions à quelqu’un…”