Rencontre avec Audrey Sanchez et Caroline Attia Larivière du projet « América Nativa »
par Vincent PUREN, publié le 10.07.2012
Le 3 mai dernier se tenait la remise des prix à destination des nouveaux lauréats de la Bourse Orange / Formats innovants au siège de la SACD. Devant un parterre de professionnels et de journalistes, en présence des membres du comité de sélection, des équipes d’Orange et de l’Association Beaumarchais, les lauréats ont pu présenter leurs projets respectifs et recevoir leur bourse d’écriture. A cette occasion, nous vous proposons de découvrir les projets lauréats et leurs porteurs, dans une série d’articles entamée avec « Jézabel » de Julien Capron et « DETOUR » de . Place aujourd’hui à « América Nativa », proposée par Audrey Sanchez et Caroline Attia Larivière.
Les communautés indiennes représentent environ 30 millions de personnes sur le continent américain. L’identité culturelle et les territoires de beaucoup d’entre elles sont menacés, ou déjà disparus. Marginalisées, elles sont pourtant les témoins d’un « nouveau monde », à découvrir autant qu’à préserver : un monde de cohésion entre ces communautés, la nature et les espèces animales.
Depuis toujours, l’homme et l’animal cohabitent ensemble. Unis dans leurs quotidiens, ils partagent également des légendes qui révèlent leurs liens si particuliers. C’est de ce constat qu’est née « América Nativa », production mettant en scène 26 de ces communautés indiennes d’Amérique d’aujourd’hui, découvertes à travers le prisme animal.
« América Nativa » dévoile cette incroyable mosaïque de peuples, d’espèces animales et de paysages que représente ce continent, avec des histoires, ces légendes, qui révèlent aussi un patrimoine culturel inédit, emprunt de réalisme magique, là où la magie imprègne la réalité.
L’origine du projet repose avant tout sur une rencontre entre Audrey Sanchez et Franz Florez, Colombien, familier avec le terrain des peuples, des animaux et des légendes évoqués dans ce programme. Vétérinaire de formation, membre de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), Franz est un acteur majeur de son pays pour la préservation de la biodiversité.
Tous les deux se sont rencontrés en 2009, lors de sa venue à Paris pour la sélection au Festival International du Film de l’Environnement d’un film documentaire dont il a été le personnage principal, « L’homme aux serpents » d’Eric Flandin.
Avant cette rencontre Audrey Sanchez a travaillé dans la production de films documentaires, puis dans le développement de projets d’animation, d’abord chez Senso Films, coproducteur du premier court-métrage dont elle assure la production exécutive, puis comme auteur. « América Nativa… » est son premier projet d’auteur d’animation.
Émouvantes, cocasses, dramatiques, inattendues, mystérieuses, voire mystiques, ces légendes sont également les témoignages vivants d’histoires plus étonnantes les unes que les autres, qui peuvent donner lieu à des situations riches d’inconnus à découvrir et d’aventures à vivre. La série veut donc s’inspirer d’une réalité pour tendre vers une fiction, où des personnages, des décors et des situations types, traduiront la dimension à la fois réelle et extra-ordinaire qui habite ces univers. Ici, la rencontre avec Caroline Attia Larivière est déterminante.
Caroline Attia Larivière est quant à elle tombée dans le dessin comme d’autres sont tombés dans la potion magique, c’est-à-dire lorsqu’elle était toute petite. Depuis, elle ne lâche plus son crayon et esquisse tout ce qui lui passe par la tête, de son parcours aux « Arts Décoratifs » de Paris où elle découvre l’animation, à son passage à la « School of Visual Arts » à New York.
C’est avec cette autre rencontre décisive que le projet peut devenir une réalité. Caroline est auteur graphique et réalisatrice de la série.
À côté de cette dimension documentaire qui inspire la série, la fiction sera prise en charge par un personnage principal, Casimilo. À dos de tapir, le plus fort des animaux de la jungle chez les indiens Kogui, il parcourt le continent pour aller à la rencontre de ces peuples et de ces animaux sauvages. Dans chaque épisode, Casimilo et le tapir sont dans un pays nouveau et rencontrent une communauté différente. Ils partagent avec elle son quotidien, où se rejoignent l’homme et l’animal, et leur légende.
C’est ainsi que la série a peu à peu pris forme : dans ces nombreux échanges entre Audrey et Franz, et ces trois voyages en Colombie, initiatiques en quelque sorte, qui l’ont conduite sur les terres du peuple Kogui.
UNE DÉMARCHE INTERACTIVE AUTOUR DE CARNETS D’EXPLORATEUR
Alors que le projet emprunte à la fois au documentaire et à la fiction, la bourse d’Orange et de Beaumarchais a permis aux initiateurs de ce projet, de réfléchir à une approche globale et transversale de la série dont l’écriture, d’un écran à l’autre, explore l’une ou l’autre de ces dimensions, et finalement les réunit dans un programme hybride. En effet, d’un écran à l’autre, le documentaire et la fiction se rejoignent et s’organisent dans une continuité narrative. La télévision prend en charge la fiction avec la série animée.
Le web permet de découvrir le hors-champ documentaire des peuples et des animaux de la série avec du contenu informatif et pédagogique. Les i-books sur les tablettes et téléphones mobiles réunissent fiction et documentaire dans une démarche interactive autour de carnets d’explorateurs, réfléchis et scénarisés à la manière d’un web-documentaire adapté pour le jeune public.
Finalement, c’est de sa simplicité que « América Nativa » tire sa force. Ces histoires sont vraies et ses auteurs n’ont fait que les cueillir… Et souvent ce qui est le plus simple, le plus évident, comme ce lien qui unit ces hommes à leur terre, est aussi le plus intéressant, et le plus étonnant. L’originalité du projet est d’abord celle du regard de ces peuples premiers où la chimère et la raison ; la réalité et des mondes imaginés, le visible et l’invisible construit leur identité et leur regard sur le monde, fort de ces antagonismes. La plus grande originalité a donc été de s’intéresser à ce lien si particulier qui les unit au règne animal et qui transparaît dans leurs légendes, également une invitation à un « ailleurs », et de les rendre accessibles aux enfants. L’univers graphique de Caroline Attia Larivière quant à lui achève de faire la différence. Il est à l’image de ces mondes : à la fois simple et mystérieux, brut et délicat.
Enfin, Caroline et Audrey désireraient explorer une écriture transversale où, comme à l’intérieur de ces sociétés primitives, la réalité et l’imaginaire se tutoient dans la plus grande des simplicités.