Mad Men : fan-fiction sur Twitter
par Ana Vasile, publié le 8.03.2011
Matthew Weiner a parlé au Forum des images à Paris de la conception de la série Mad Men, début février, devant une centaine de fans français. Le scénariste reconnaissait qu’ils lui ont fallu tout de même cinq ans pour écrire le pilote. Quelques années plus tard, la série devient un phénomène avec une communauté de fans de taille mondiale qui n’arrête pas de s’inspirer de l’univers Mad Men. Mais est-ce que les producteurs ont su bénéficier de leur créativité ?
Aujourd’hui, l’écriture de cette série reste très classique et linéaire. Le créateur et le producteur (AMC une petite chaine américaine) semblent donner l’impression de ne pas s’intéresser au riche potentiel transmedia de l’univers Mad Men. Nous avons déjà parlé ici du livre « Sterling’s Gold » et de la déception qu’il a causé parmi la communauté de fans.
Si le Graal du transmedia est l’engagement des fans, prolonger la vie des personnages fictifs sur le Web peut-être une bonne solution pour favoriser l’implication des spectateurs. Par exemple, CBS prolonge « How I Met You’re Mother » avec le blog et de Barney, CWTV mélange la réalité et la fiction au travers du blog « Gossip Girl ». En France, TF1 a lancé en 2010 la première « fiction connectée » en utilisant les media sociaux pour maintenir un lien entre les fans et l’héroïne de la série, dont nous avons déjà parlé ici.
La controverse Mad Men sur Twitter
Juste après le lancement de la deuxième saison, une quinzaine de fans créent des comptes Twitter représentant leurs personnages préférés de Mad Men et continuent pendant des mois à twitter dans la peau de ces personnages. La plupart des abonnés ont tout simplement cru que AMC était derrière cette opération. Des milliers de fans américains suivaient donc assidument le quotidien de @ Peggy_Olson ou de @BettyDraper. Finalement, les créateurs de ces comptes Twitter (qui étaient en fait des fans) n’ont jamais fait aucune erreur d’interprétation des personnages, en suivant méthodiquement la trame narrative de la série. Ces mêmes personnages communiquaient entre eux sur Twitter, donnant une certaine impression d’authenticité.
AMC demande alors à Twitter de révéler l’identité réelle des personnes gérant ces comptes, reconnaissant ainsi que la compagnie ne maîtrisait pas ces prises de parole. De plus la création de ces comptes Twitter a été interprétée comme une violation du Copyright de la marque Mad Men détenue par AMC.
Sous la protection du droit américain de la propriété intellectuelle sur Internet ( ) les tweets étaient considérés comme fan-fiction sans autorisation et qualifiés en tant que violations du Copyright. Henry Jenkins décrivait aussi la chorale des tweets des personnages Mad Men comme du tout en soulignant l’effet bénéfique de cet engagement des fans pour la série.
Dès lors, les comptes Twitter des personnages de Mad Men commencent à être suspendus, une action qui réveille l’indignation des bloggeurs et des milliers d’abonnés Twitter. Cette déception commence à se faire entendue avec des et des .
AMC décide de suivre le conseil de Deep Focus, son agence de web marketing et annule sa demande de suspension pour ces « fake twitter », les fans créateurs reviennent avec un manifesto : We are Sterling Cooper et continuent à jouer dans la peau des personnages qu’ils ont créés et développés.
Exemple de la mauvaise gestion de ce phénomène par AMC, Michael Bissell, expert en marketing Internet et @Roger_Sterling sur Twitter, confessa ici qu’il n’avait jamais eu accès aux créateurs de la série alors que tous ses efforts pour rendre réel le personnage de Sterling sont issus de son adoration pour celle-ci.
La créatrice du compte @PeggyOlson gagne en 2009 le prix Twitter Shorty Award pour le meilleur producteur de contenu en 140 caractères. Il est tout de même étonnant de voir qu’elle avait remporté son prix dans la catégorie publicité, même si elle avait commencé ce compte en tant que fan, sans avoir aucun engagement officiel avec AMC. Il semble que AMC n’ait pas seulement raté ce rendez-vous avec ses fans, ils n’ont pas su non plus bénéficier de ce qu’ils ont produits comme contenu pour la série.
Apres avoir étudié ce « Twitter-drame » je me demande : les producteurs doivent-ils permettre la création et la gestion de personnages fictifs sur les réseaux sociaux par les fans ? Est-ce un danger pour l’univers narratif ou est-ce une opportunité d’engager plus fortement le public ?