Poésie et cinématique sont-ils les nouveaux outils marketing du 21ème siècle ?
par Alain Bezancon, publié le 4.07.2012
Dans un contexte général de morosité et de récession, l’industrie mondiale du luxe maintient une croissance insolente alimentée en grande partie par l’accession des citoyens BRIC (Brazil, Russia, India, China) au statut de millionnaire. Les membres de ce club grandissant de nantis ne se contentent plus d’acquérir les objets griffés emblématiques de leur classe car ils sont désormais plus intéressés à vivre des expériences uniques voir transformationnelles.
D’après le Boston Consulting Group, voyages, séjours, expéditions, croisières, représentent cette année le segment en plus forte croissance devant les sacs à mains, montres, vêtements, bijoux et autres bolides sur-vitaminés.
A l’instar de l’influence de la haute couture sur le prêt à porter, le secteur du luxe est sûrement à l’avant garde d’une tendance qu’il est intéressant de décrypter sous l’angle de la communication et du marketing.
VIVRE VS AVOIR.
De nos jours il semble que posséder les signes extérieurs de richesse n’est plus suffisant. L’acquisition de biens matériels haut de gamme et exclusifs est à la portée d’un nombre tous les jours plus important d’individus. Ces objets sont finalement produits voir copiés en grand nombre ce qui en diminue la valeur perçue. La faculté de profiter des biens tangibles est limitée par nos capacités physiques alors que notre aptitude à vivre des émotions est infinie. C’est peut-être ce qui motive cette recherche du non-reproductible et de l’exclusif dans l’intangible, dans l’intimité de l’expérience vécue. Le tourisme spatial est sûrement l’exemple le plus extrême de cette tendance, mais le nombre de candidats peuplant les listes d’attente est un bon indicateur de sa pertinence.
Un vol stratosphérique ou un séjour à bord d’une station spatiale sont des expériences hors normes qui se vendent toutes seules. Pour les acteurs offrant des prestations plus terrestres, la différentiation dans un marché extrêmement compétitif est un enjeu stratégique. Les concepts pertinents étant récupérés à la vitesse de l’internet, tout le monde propose désormais des « expériences ». La prime à la nouveauté du concept n’étant plus un avantage concurrentiel il s’agit, en particulier pour les lieux de villégiature, de parvenir à capter une clientèle exigeante désireuse de vivre un moment unique.
Communiquer sur le registre de l’hédonisme ou du caractère exotique du lieu avec une brochure sur papier glacé ou virtuelle n’étant plus suffisant d’autres moyens sont à inventer.
SE DIFFÉRENCIER PAR L’ÉMOTION
La vue spectaculaire, la cuisine sophistiquée, la chambre somptueuse, le spa raffiné, les jardins enchanteurs, le personnel attentionné, sont des clichés au propre et au figuré qui présentent un aspect de la réalité, mais qui ne traduisent pas l’émotion, l’identité singulière de l’endroit. Voilà peut-être le plus grand défi en terme de communication, celui de véhiculer une émotion, de traduire l’essence d’un espace ou d’un concept de manière à permettre au client de s’y projeter et de commencer à ressentir ce qu’il pourra y vivre. Il ne s’agit pas de vendre une prestation, mais d’offrir un « décor » avec lequel le client « entrera en résonnance » pour vivre l’histoire unique qu’il y écrira. La communication consiste alors à créer une trame romanesque ancrée dans la réalité. Pour matérialiser cette réalité scénarisée toute la gamme des outils narratifs peut être utilisée.
Une expérience de communication de ce genre a été réalisée en septembre 2011 par Portraitgraphy avec « Les Terres M’Barka » qui est une résidence hôtelière située près de Marrakech. Afin de traduire l’esprit du lieu, un portrait vidéo cinématique a été réalisé. Le portrait est celui du concepteur de la propriété qui incarne son propre rôle et exprime la vision qui a précédé à la genèse du projet. Le personnage évolue dans sa création et invite le spectateur à découvrir son univers à travers son regard. La frontière entre la réalité et la fiction s’efface pour laisser place à l’émotion. La vidéo est diffusée sur un site web dédié et est accompagnée d’un texte poétique qui offre une autre approche de la vision. Des capsules vidéo présentent des échantillons sensoriels du lieu et une série de photos de making-of souligne le caractère cinématique du projet. L’hôtel et le paysage environnant sont uniquement suggérés et utilisés comme le décor dans lequel évolue le personnage.
Cette approche de communication originale a été très bien accueillie par les clients et par les acteurs de la profession rassemblés lors d’un congrès international à Marrakech en octobre 2011 et dont le thème était justement « The importance of Storytelling ».
Poésie et cinématique sont des techniques parfaitement cohérentes pour ce type de projet car il s’agit de créations originales valorisant une autre création. Le « client / acteur » est donc en contact avec un ensemble d’œuvres auxquelles il est invité à contribuer par sa présence. Cette approche semble répondre à cette volonté de la part des « consommateurs » du monde du luxe de vivre des expériences uniques, intimes et donc non-reproductibles. L’expérience du lieu peut ainsi devenir une contribution à un processus de création et non un acte de simple consommation.
Poussant cette logique jusqu’au bout « Les Terres M’Barka » envisage d’offrir l’expérience du portrait cinématique à ses clients. Le « client / acteur » devient le sujet de son propre film dans le « décor » qu’il a choisi en raison de l’émotion qu’il inspire. La boucle est bouclée.
En allant encore plus loin peut-être verra-t-on apparaître bientôt le concept de « Designer Life » : votre vie « stylisée » en une succession d’expériences personnelles et exclusives dans une réalité scénarisée 24h/24h.
AU DELÀ DE L’ÉMOTION, LE SENS
Les techniques émergentes de communication utilisées par l’industrie du luxe sont-elles amenées à se répandre dans d’autres secteurs ?
Poésie et portrait cinématique sont-ils des moyens applicables à d’autres marchés ?
Il est sûrement trop tôt pour se prononcer, mais au-delà des outils, l’émergence d’une tendance de consommation orientée vers l’être plus que vers l’avoir est un indicateur probablement révélateur de la période tourmentée de transition que nous traversons. La hiérarchie des besoins semble évoluer de la matière vers l’intangible, de l’objet vers l’expérience, et au delà de l’expérience vers la recherche de sens.