Fanfan2, retour d’expérience : la littérature en mode transmedia

par Ana Vasile, publié le 19.10.2011

Fanfan2 est une initiative d’Orange, un projet multiplateforme imaginé par l’écrivain Alexandre Jardin autour des aventures d’Alexandre, le héros de son roman «Fanfan, 15 ans après». Fanfan2 met le lecteur au cœur d’un dispositif participatif et multi-écrans, avec l’intention de prolonger la fiction au-delà du livre papier grâce à un site internet, les médias sociaux (Facebook et Twitter) et des applications iPhone et iPad.

 

 

 

La case study permet d’avoir une vision d’ensemble de l’expérience qui s’est terminée au mois de mai 2011. Stéphane Adamiak, responsable projets et partenariats transmedia au sein de la direction des contenus d’Orange, nous livre certains des enseignements de ce projet et nous permet d’échanger sur les thèmes de l’écriture numérique et de l’intéraction avec les lecteurs.


Fanfan2, case study

http://www.dailymotion.com/videoxqq6bn


Quinze ans après leur première rencontre, le héros du roman, Alexandre, fait le pari de surprendre sa femme Fanfan au quotidien. Devant l’ampleur de son défi, Alexandre décide de faire appel aux lecteurs pour l’aider à ré-enchanter son amour !

 

Au départ, ce projet était ambitieux par son positionnement : la communauté originelle de Fanfan est un public plutôt adulte et féminin, de plus les lecteurs de romans semblent assez éloignés des univers numériques. L’aventure Fanfan2 terminée, ces a priori se sont-ils vérifiés ?

SA : Globalement, oui. Nous avons cependant constaté un rajeunissement de la communauté sur la longueur. La part des 15-25 ans a augmenté petit à petit, sans devenir les membres les plus actifs. Au final, Fanfan2 n’est pas un livre mais bien le prolongement numérique d’une œuvre littéraire. Si les lecteurs restent majoritairement attachés à l’objet livre, la question de l’adoption de Fanfan2 s’est posée différemment. Les réfractaires aux usages numériques n’y auront pas prêté attention, mais ceux qui ont déjà adopté les réseaux sociaux se sont montrés curieux et ont saisi la balle au bond !

 

La dimension collaborative de l’œuvre est impulsée par les médias sociaux. Le lectorat est invité à réagir et à construire avec l’auteur/personnage des parties de l’histoire. Après quasiment sept mois d’interactions avec le public, comment jugeriez-vous son engagement ?

SA : Sept mois, c’est est en effet un véritable marathon en termes d’attention et d’engagement mais  nous avons été surpris par la fidélité de la communauté Fanfan2. Un noyau dur de lecteurs s’est vite constitué pour venir chaque jour participer ou réagir et plus globalement cette communauté s’est très peu érodée au fil des mois. Avec Fanfan2, il est clair que l’engagement est allé largement au delà du like/follow (qui souvent se limite à un intérêt passager).

L’autre surprise, ce sont les efforts déployés par les participants dans leurs réactions, leurs contributions. Les utilisateurs ne se contentaient pas d’une ligne de commentaire façon « LOL », ils prenaient du temps pour vraiment enrichir le flux des interactions avec les personnages (sans les caresser dans le sens du poil, au contraire même!). Cela a rapidement créé une sorte de standard et ceux qui ont rejoint l’aventure en cours de route ont eux-mêmes suivi ce modèle.

 

En octobre 2010, Alexandre Jardin se disait fasciné par la possibilité de créer une narration en temps réel et en contact permanent avec les lecteurs. Comment la communauté de FanFan2 a-t-elle vécu l’expérience proposée par l’auteur ?

SA : Une écriture en temps réel sous forme de messages tweetés ou de statuts Facebook laisse beaucoup de place à l’imagination du lecteur qui essaye d’anticiper, d’extrapoler en attendant la suite. Après avoir pris le temps de bien saisir le potentiel et les contraintes de cette écriture en flux, Alexandre a pris un malin plaisir à jouer avec les ellipses, avec les décalages entre les plans idéalistes du personnage principal et leur réalisation. Il n’était pas rare que les lecteurs soient crispés dans l’attente du rapport de la «situation sur le terrain» et viennent partager leurs avis ou leurs prédictions avec les autres, voire râler quand le personnage tardait à raconter ce qui s’était passé.

Plusieurs fois, nous avons aussi été surpris que les personnages soient pris à parti de manière frontale, comme s’ils étaient vraiment des amis façon «Facebook». Alexandre Crusoé, le protagoniste, s’est fait remonter les bretelles plus d’une fois, mais ce n’étaient finalement que des lecteurs qui savouraient de jouer un rôle, celui de confidents de personnages de fiction.  Nous avions ce résultat parmi nos objectifs, mais c’est arrivé beaucoup plus vite que prévu.

 

Happy Fannie, les équipes d’Orange et Alexandre Jardin ont dû travailler ensemble sur ce projet. Comment vous êtes-vous répartis les tâches et les savoirs faire ?

SA : Côté Orange, nous avons d’abord pris le temps de bien travailler avec Alexandre Jardin sur le concept général, l’adaptation de l’écriture aux media sociaux et le schéma du dispositif, sans oublier l’adéquation avec la marque. Ensuite, nous avons enchaîné avec 6Degrees (qui regroupe plusieurs entreprises ou studios, notamment Oahu pour le développement, et Unity pour le design) afin de décliner le concept en un site et des applications. A ce stade, Happy Fannie intervenait déjà dans les réunions de cadrage, mais c’est au lancement fin octobre que l’équipe menée par Sandrine Girbal a assumé un rôle central en animant la communauté et le bon déroulement de l’histoire en lien avec Alexandre Jardin. A partir de là, nous nous retrouvions tous pour des réunions éditoriales hebdomadaires afin de discuter de l’actualité et des évolutions du projet.

 

Cette nouvelle forme de narration permettait aux lecteurs de Fanfan2 d’être plongés dans l’intimité de Fanfan et d’Alexandre en temps réel. Celui-ci demandait implicitement l’aide à la communauté quotidiennement. Quels étaient les media qui ont le plus favorisé la participation ?

SA : La demande du protagoniste était plus qu’implicite ! L’aspect temps réel de la narration nous a amenés à mettre en avant la dimension smartphone, mais ce support se prête mal à l’écriture  qui était au cœur du projet (contraintes d’interface, de contexte, de temps disponible, etc.). Au final, c’est donc Facebook qui a concentré l’essentiel de l’animation car le plus adopté parmi le public touché et le plus adapté aux interactions prévues.

 

Fanfan2 a été imaginé comme un projet capable d’évoluer au fur et à mesure de son déroulement. Quelle a été votre stratégie pour maintenir la fidélité de votre communauté et l’intérêt de l’expérience pendant toute la durée du projet ?

SA : La mise en place d’une équipe dédiée, constamment à l’écoute et en relation étroite avec l’auteur était la clef. C’est grâce à cette attention quotidienne que nous pouvions prendre la température de la communauté et répondre rapidement aux attentes ou anticiper les baisses de régime.

L’anticipation justement, mais à plus long terme, était aussi notre souci. Par exemple, au delà de l’élan des premières semaines, il a fallu gérer le virage des fêtes de fin d’année (entraînant une inévitable baisse de l’attention du public et une équipe forcément réduite). Dans les derniers mois aussi, il a fallu entretenir la flamme en apportant des changements de format ou de rythme pour éviter la routine qui pouvait menacer autant le public que l’équipe.

Par contre, notre plan initial prévoyait la mise en place de nouveaux modes d’interaction avec l’univers d’Alexandre Jardin. Nous aurions pu évoluer vers des applications qui visaient à faire de l’esprit de Fanfan2 un jeu social qui aurait fait appel à la géo-localisation, par exemple. Mais au contact de la communauté, nous avons compris que notre public était constitué de lecteurs, d’amateurs d’histoires. Pour eux, leur vie quotidienne était déjà bien remplie pour leur proposer des challenges supplémentaires. Profiter de parenthèses d’évasion grâce au feuilleton, d’un espace de partage et de discussion suffisait et aller plus loin aurait scindé la communauté. Au lieu de nous cantonner à notre vision initiale, nous nous sommes adaptés faisant le choix de donner plus d’espace, plus d’influence aux contributions des participants autour de l’écriture selon un mode ludique, moins formel.

Au delà de notre stratégie de départ, Fanfan2 était donc principalement géré en flux tendu, avec réactivité, au plus près de son public. Evidemment, ce genre de souplesse est beaucoup plus facile à obtenir avec un contenu littéraire qu’avec de la vidéo, par exemple. Mais une fois de plus, sans un auteur investi et une équipe éditoriale engagée, il n’aurait pas été possible de poursuivre sur une telle longueur.

 

Quels sont les enseignements à tirer de ce travail aux côtés d’un auteur « classique » ?

SA : Alexandre Jardin ne s’est pas montré classique en l’occurrence. Au delà de l’écriture déjà évoquée qui reste bien le fait de l’auteur, il a aussi été question de méthodes de travail collectives au croisement du community management et du développement web. Et même si l’édition est un effort collaboratif, l’écriture «classique» n’a pas habitué l’auteur à ce type d’interactions. La phase amont se révèle primordiale dans ce genre de projet pour assurer la cohérence avec l’œuvre de référence et la faisabilité du dispositif.

Pas de recette générique pour des projets qui reposent aussi fortement sur des rencontres : un auteur, des concepteurs spécialistes de nouveaux media, des community managers et bien évidemment le public ! Une aventure pleine d’enseignements qui ouvre de nouvelles perspectives aux œuvres littéraires.

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auteur Ana Vasile

Ana Vasile est rédactrice pour Transmedia Lab. Diplômé d’un Master Pro en Communication Multimédia et Audiovisuel de l’Institut de la Communication et des Médias à Grenoble, elle travaille en agence de publicité pendant plus de deux ans dans un département de création. Ana a contribué au développement de la politique éditoriale et à la rédaction d'articles au sein de l’équipe du Transmedia Lab de janvier à novembre 2011.