Interview : Lance Weiler revient sur sa fiction transmedia « Pandemic »
par Ana Vasile et Olivier Godest , publié le 17.03.2011
Lance Weiler se présente comme un « story architect » transmedia : plus qu’une histoire, ce nouveau type de narrateur nous fait pénétrer dans un monde foisonnant, un véritable univers embrassant plusieurs plates-formes media. Nommé par la revue Wired comme « l’une des 25 personnes qui aide à réinventer le divertissement et qui changent le visage d’Hollywood », l’auteur a fait son retour à Sundance en 2011 avec un dispositif transmedia sélectionné dans la catégorie « New Frontier ».
Pandemic 1.0 est une fiction racontant la propagation d’une épidémie qui ravage le festival de Sundance. Un univers qui se déploie à travers un film, du contenu mobile, les supports web et print ainsi que des événements en direct pendant 120 heures. Lance a bien voulu répondre à nos questions sur la mise en place de son œuvre.
Pourriez-vous nous décrire l’histoire de Pandemic pour les lecteurs du Transmedia Lab ? Quels sont les media utilisés dans la narration ?
Une épidémie a fait son apparition pendant l’un des plus grands festivals de films du monde. Les gens commencent à développer des comportements nocturnes étranges et tout commence à sombrer dans le chaos. A partir de là, les internautes doivent alors travailler avec les personnes sur place, à Park City, pour essayer d’arrêter l’expansion de cette épidémie. Ils ont 120 heures pour la stopper et en même temps sauver le plus de monde possible.
J’ai crée l’univers et le design de cette expérience pour donner la possibilité à ceux qui n’étaient pas sur place d’être « presque là », en participant comme les personnes présentes à Sundance. Ainsi les Internautes pouvaient coopérer avec les personnes de la vie réelle pour atteindre l’objectif.
L’histoire a été diffusée au travers d’un film, de contenus sur mobile et sur le web (visualisation de données, social gaming etc.), mais aussi avec un dispositif événementiel (dans la vie réelle, objets cachés, distribution de jouets connectés).
Vous avez mentionné dans une interview « le storytelling collectif » : avez-vous construit Pandemic 1.0 comme une histoire collective ? Comment décririez-vous sa conception ? Comment avez-vous maintenu la ligne directrice et le déploiement de l’histoire à travers les différents media ?
La conception de Pandemic 1.0 a nécessité une réflexion profonde et un véritable travail de planification. Je voulais que l’univers soit expansif, mais en même temps, construit de telle manière que chaque élément ait un début, un milieu et une fin. C’est essentiel que le spectateur/joueur puisse sortir de l’univers, à n’importe quel moment, avec un moment émotionnel complet, extrait au sein de l’histoire. En construisant ces moments forts, chargés d’émotion, je trouve que cela aide souvent à tisser les liens permettant à l’audience de passer d’un élément à l’autre de l’histoire. Je cherche à construire des niveaux d’interactivité qui permettent aux spectateurs/joueurs de s’immerger aussi profondément qu’ils le souhaitent.
Je travaille en fonction d’un principe que j’appelle la théorie de l’impact d’une balle sur du verre (« bullet hole in glass »). Le centre de l’impact accueille ma vision originelle de l’histoire, mais au fur et à mesure que le verre se fissure, je laisse la place à la participation du public. De manière similaire au développement des logiciels qui offrent des versions alpha et bêta, je veux que le public teste l’expérience, jusqu’à la casser pour que je puisse voir en temps réel ce qui va et ce qui ne va pas.
L’expérience de Sundance était une histoire que l’on peut qualifier de R&D (Recherche et Développement). J’utilise le transmedia pour enrichir les histoires que je veux raconter en les diffusant dans le monde réel et en les testant. Nous avions donc développé un software qui nous permettait de changer la suite temporelle des éléments de l’histoire et de débloquer les parties du storytelling en fonction de l’interaction du public avec la narration.
Quelles sont les racines, les origines de l’univers Pandemic ? Y a t-il un lien avec votre projet HiM lauréat du prix Cinemart (Festival de Rotterdam) ?
Pandemic est né à partir de HiM. Ce scenario m’est venu en premier et m’a aidé à établir les règles, la tonalité et le style de l’univers global. L’histoire de Pandemic se situe au début de l’épidémie, en remontant en arrière par rapport à HiM, le long-métrage, qui se déroule environ 90 jours après le démarrage de l’épidémie. Nous avons travaillé en remontant le fil du temps et cela nous a aidé à enrichir l’univers global.
L’engagement du public est l’un des éléments clé dans votre storytelling : quels leviers avez-vous utilisé pour engager votre public dans Pandemic ?
J’ai découvert que mettre les cartes sur la table, en montrant au public qu’il aura des difficultés à surmonter certaines contraintes, est une très bonne façon de favoriser son engagement. Dans la construction de Pandemic 1.0 j’ai crée une limite de temps de 120 heures de jeu. C’était une course contre la montre qui a finalement développé l’enthousiasme et la participation du public.
L’autre dispositif qui s’est révélé être un excellent levier d’engagement fut la recherche sur place de 50 téléphones Nexus S qui incorporaient la technologie NFC. Les portables étaient placés dans des sacs en plastique bio hazard (protection biologique) et distribués avec des générateurs de poche pour les maintenir chargés. Ces téléphones passaient d’une personne à l’autre. Ils permettaient aux participants de prendre des photos et de tourner des vidéos, créant ainsi un énorme documentaire en temps réel du festival. J’ai appris que les gens aiment les histoires qui parlent d’eux, le fait de comprendre cela a été très bien reçu.
Comment jugez-vous le résultat Pandemic 1.0 ? Qu’est ce que ce projet vous a apporté d’un point de vue créatif ?
Cela a été un vrai succès, à plusieurs niveaux. Ce projet m’a donné la chance de tester l’univers de l’histoire avec un large public. J’ai pu travailler avec des acteurs et développer des moyens intéressants de tourner dans un événement en direct de la taille de Sundance. Il est intéressant de noter que la plupart des réalisateurs de films recherchaient des distributeurs pendant ce festival. Alors que je l’ai utilisé comme un terrain d’essai pour développer mon univers. Il n’y a rien de mieux que de mettre en scène un vrai groupe de joueurs et de développer sa R&D dans un environnement réel. Nous nous préparons à rééditer cette expérience dans l’un des plus grands musées de New York et je vais continuer à l’améliorer et tester de nouvelles méthodes de conception et d’interaction avec les utilisateurs.
Lance Weiler est l’un des co-fondateurs et intervenant de Transmedia Next (prochaine session à Londres du 12 au 14 avril 2011). Cet atelier est destiné aux professionnels des media. Il leur permettra d’acquérir les connaissances nécessaires pour développer leurs projets transmedia, en utilisant les meilleurs pratiques de l’industrie. Pour plus d’informations : www.transmedianext.com
Il est également à l’origine du projet collaboratif Workbook Projet et fait partie de l’équipe de Seize the Media. Des éléments complémentaires sur ce pionnier du transmedia sont disponibles sur son site.