La rencontre inévitable des séries TV et du jeu vidéo
par Eric Viennot, publié le 22.12.2011
Eric Viennot, co-fondateur et directeur de création du studio Lexis Numérique (Oncle Ernest, Amy) est un des pionniers du transmedia en France (In Memoriam et plus récemment l’ARG Mission Braquo) Eric nous fait part de sa réflexion sur l’évolution de la narration télévisuelle et de sa rencontre « inévitable » avec un monde qu’il connaît bien, celui du jeu vidéo.
Depuis une quinzaine d’années, les séries TV américaines ont réussi à renouveler la narration audiovisuelle, supplantant désormais le cinéma en matière de profondeur scénaristique. Alors que les scénaristes de cinéma sont contraints, par le format des films, d’écrire des histoires courtes et rythmées, les créateurs de séries peuvent se permettre de prendre leur temps pour créer des récits tortueux, foisonnants, éclatés, construits autour de nombreux personnages avec des psychologies et des backgrounds riches et complexes.
Leurs récits, parfois compliqués à suivre, trouvent un prolongement naturel sur le net où les fans ont pris l’habitude de discuter et de publier des interprétations souvent passionnantes.
La série Lost en est un parfait exemple. Prenant en compte les réactions des spectateurs dans l’évolution de la série, ses créateurs ont même pris soin de développer un ARG (Alternate reality game) permettant aux fans de découvrir certains aspects cachés de l’histoire. Plus récemment on a vu des fans de la série Mad Men prendre seuls l’initiative à l’effigie des personnages de leur série fétiche. Lexis Numerique vient de créer pour Canal+, en partenariat avec Capa, producteur de la série Braquo, un prolongement interactif de la série sur le web, diffusé en temps réel, pendant toute la durée de diffusion. Entre les épisodes, les fans de la série étaient invités à accomplir de petites missions qui leur permettaient d’entrer en contact direct avec les personnages via e-mails, sms et appels téléphoniques. Au passage, ils pouvaient découvrir des parties de l’univers non traitées dans la série (vrais sites cachés par exemple), ou entrevoir certains points de l’histoire avant la diffusion des épisodes.
Cette extension des séries vers le jeu et les réseaux sociaux ne fait, à mon sens, que commencer.
Elle répond à une soif d’interaction et de participation du public de plus en plus importante, générée par la multiplication des écrans et le développement des nouvelles technologies. Apparemment subies par certains créateurs, ces extensions transmédia, deviendront progressivement la norme. Il faudra que les créateurs d’histoires les prennent en compte très en amont dans leur processus de création.
Le format série, morcelé au fil du temps, permet, contrairement à celui du cinéma, cette appropriation par le public.
Comme je l’écrivais il y a quelques mois, les nouveaux usages en matière de loisir et de divertissement sont en train de modifier considérablement notre rapport à la fiction. On passe de moins en moins de temps devant les contenus TV live. On en passe de plus en plus connecté à Internet, de chez soi ou en déplacement, pour jouer, regarder des films ou des séries, communiquer, partager…
Les spectateurs les plus jeunes ont pris l’habitude d’être de plus en plus actifs vis à vis des univers qu’on leur propose. Ils adorent partager, commenter, analyser ou parodier telle ou telle séquence. Le succès des machinimas ou des séquences amateurs auprès de ces publics, répond aussi à ce besoin de créer à leur tour leur propre projet. Ils ont un rapport moins passif, moins respectueux diront certains, devant les oeuvres qu’elles soient interactives ou non.
L’interactivité qu’on leur permet d’exercer à travers les jeux vidéo et sur le net, transforme leur rapport aux oeuvres traditionnelles. Ils souhaitent dorénavant s’impliquer dans les univers qu’on leur propose. Le format des séries permet en outre d’envisager des récits qui pourraient se dérouler en temps réel, ce qui augmenterait considérablement le sentiment d’immersion.
Signe des temps, Will Wright, créateur des Sims, s’intéresse de plus en plus à ce type de divertissement transmedia.
Avec Bar Karma, il a expérimenté un nouveau concept de série TV participative dans lequel l’histoire était influencée et même générée par le public. Il a annoncé récemment un nouveau concept de jeu pervasif connecté aux réseaux sociaux. D’autres game designers (notamment aux Etats-Unis), collaborent en ce moment à des projets des séries transmedia ou interactives.
Will Wright à propos de Bar Karma
Côté télévisions, de plus en plus de producteurs et de chaines réfléchissent à de nouveaux formats transmedia qui prendront en compte ce besoin croissant du public d’interagir avec les personnages et l’univers proposés.
Game designers d’un côté, créateurs de fictions TV de l’autre, devraient se retrouver de plus en plus fréquemment sur ce nouveau territoire plein de promesses qui est celui de la fiction transmedia interactive. Après les rendez-vous souvent manqués du cinéma et du jeu vidéo, la rencontre inévitable du jeu vidéo et des séries pourraient réserver dans les prochaines années de belles surprises.
De mon côté, je travaille, depuis plus de 3 ans, à la production de Twelve (nom provisoire) qui, 10 ans après le premier In Memoriam, continuera d’explorer ce concept de Fiction Totale qui me tient à coeur en tentant de réunir jeu vidéo, série TV et réseaux sociaux.
Article publié le 21.12.12 sur le blog Ecrans d’Eric (Libération)
Blog d’Eric Viennot
Pour aller plus loin :
« Les Chaînes de TV sont confites dans leurs privilèges » Eric Viennot
« Les Noces contrariées du cinéma et du jeu vidéo » Eric Viennot
« Les ressorts de la fiction totale » Eric Viennot
« Du transmedia à la fiction totale » Eric Viennot
case study vidéo par Channel 4
Transmedia Lab
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