Bar Karma, une expérience de création communautaire

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par Vanessa Meheut , publié le 9.06.2011

Vanessa Méheut est analyste à Orange San Francisco. Elle s’intéresse particulièrement à l’évolution du paysage audiviosuel américain, à la distribution et au marketing de contenus vidéos multi-platformes et aux nouveaux formats publicitaires. C’est avec plaisir qu’elle nous fait partager son point de vue sur une série qu’elle qualifie comme « communautaire » : Bar Karma

 

 

Will Wright n’est pas un créateur de série TV comme les autres. Installé à San Francisco, épicentre du monde des nouvelles technologies au lieu d’Hollywood, il vient du monde des jeux vidéo (il est notamment le créateur des Sims). On comprend donc que la série TV qu’il a co-créée avec le producteur Albie Hecht ne soit pas une série TV comme les autres.

A ma connaissance, Bar Karma est l’exemple le plus abouti d’une série communautaire bénéficiant d’une diffusion TV. De par son expérience dans le monde des jeux vidéo, M. Wright est particulièrement sensible à la notion d’interactivité entre l’audience et le contenu. Pour lui, la promesse d’une série communautaire telle que Bar Karma est le développement d’une relation plus profonde et plus forte entre une audience de co-créateurs et le contenu, un attachement sentimental entre la communauté et l’œuvre créée.

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Bar Karma est certes une série communautaire mais une partie importante du travail de production reste à la charge des professionnels de la télévision. Le processus de création est ouvert à quiconque veut y participer, qu’il s’agisse de suggérer une idée, de proposer un story-board ou de proposer l’utilisation de ses propres créations (musique de fond sonore, éléments de décors ou costumes).

La communauté Bar Karma procède ensuite à un vote pour retenir les meilleures idées en terme d’axes narratifs et de développements de l’histoire. Mais il appartient à des professionnels de filtrer les suggestions, pour ne soumettre au vote populaire que celles qui sont effectivement réalisables et une fois les décisions prises, un processus traditionnel de production se met en marche. Au bout de quelques semaines, la communauté peut voir le produit fini sur Current TV, la chaîne TV qui co-produit et diffuse Bar Karma.

La série est constituée de 12 épisodes de 22 minutes, diffusés à un rythme hebdomadaire du 11 février au 29 avril, sur la case horaire du vendredi soir entre 22h et 22h30. Spirituellement proche de La quatrième dimension, Bar Karma commence avec l’arrivée d’un entrepreneur de l’internet dans un bar étrange.

Là le barman, vieux de 20 000 ans, lui annonce qu’il est désormais propriétaire du bar, remporté lors d’une partie de poker et qu’il doit maintenant aider l’équipe du bar karma composé du barman et d’une serveuse, à remplir sa mission. Le bar karma est en fait un endroit en dehors du temps et de l’espace, c’est un endroit cosmique, qui accueille des âmes perdues à des moments critiques de leurs existences. Chaque semaine, une nouvelle personne est aspirée par le bar karma et va devoir, avec l’aide et les conseils de l’équipe du bar, mettre en perspective ses actions passées et décider de son avenir.

Le concept de création communautaire n’est pas nouveau mais l’une des difficultés importantes est la mise en place de processus de production permettant d’organiser les suggestions d’une large foule de contributeurs. Sur ce point, Bar Karma a bénéficié de l’expertise de Wil Wright en termes de programmation informatique. M. Wright a développé un logiciel, Story Maker, disponible en ligne, auquel tout le monde peut accéder, après inscription. Une application pour iOs a également été mise à la disposition sur l’App Store d’Apple.

Ni Current TV, ni l’équipe de production de Bar Karma n’a publié de chiffres permettant de chiffrer le nombre de contributeurs et M. Wright a récemment sous entendu à la conférence TV of Tomorrow de San Francisco qu’il s’agissait d’une base relativement restreinte.

Bar Karma Facebook page

Le page Facebook de Bar Karma compte 5000 fans et un post sur le blog de Bar Karma de Nina Bargiel, Senior Online Producer, précise que plusieurs dizaines de milliers de contributions ont été étudiées. Il est évidemment possible que la création communautaire suive le principe de Pareto, qui veut que 80% de la création de valeur est le fait de 20% de la population. Avant la diffusion du premier épisode, M. Wright indiquait qu’un peu plus d’une trentaine de contributeurs allaient être crédités au générique, en plus de l’équipe professionnelle.

Du point de vue de la distribution en revanche, il semble que Bar Karma ne soit pas encore disponible sur les nouvelles plateformes de diffusion : des extraits promotionnels sont disponibles sur Hulu et YouTube mais aucun des 12 épisodes n’est disponible légalement sur les plateformes web/mobile (Hulu, Amazon VOD, iTunes, YouTube,….) ou sur le site de Current TV, vraisemblablement pour des questions de gestion de droits attachés au contenu.

Le concept de création communautaire soulève un certain nombre de questions :

1/ La création de contenus tradionnels est largement le fait de la communauté hollywoodienne, organisée en syndicats puissants. Il y a fort à parier que la Writers Guild of America, qui protège les intérêts des scénaristes, considérera que le concept de création communautaire ne doit pas être une occasion de produire une série à bas coût risquant d’ « exploiter » des contributeurs volontaires.

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2/ Sous entendre que seul Hollywood regorge des talents nécessaires pour produire une bonne série TV est évidemment réducteur, mais il n’est pas non plus évident que n’importe qui ait le talent suffisant pour s’improviser scénariste de série TV. Laisser la communauté décider quelles idées doivent être effectivement développées peut être dangereux : d’autres expériences en termes de création communautaire voient des professionnels sélectionner les développements narratifs sur la base de suggestions émanant de la communauté. Ainsi, la web série The Zenoids de l’acteur William Shatner est ouverte aux suggestions par le biais du site myouterspace.com, mais les créateurs décideront quelles idées, parmi les centaines ou milliers de suggestion, méritent d’être développées. Ce qui pose la question de l’efficacité de ce genre de processus : il s’agit presque de trouver une aiguille dans une botte de foin.

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3/ Sans nier la créativité des foules, il faut reconnaitre que la production traditionnelle des programmes TV de fiction est centrée autour d’un créateur, en charge d’insuffler une vision et de donner une direction autour de laquelle le travail des scénaristes s’articule. Les développements narratifs s’articulent autour de grands axes fondateurs sur les personnages, et mettre ce travail entre les mains d’une communauté indifférenciée plutôt qu’entre celles d’un ou deux individus ne doit pas se faire aux dépens de la cohérence de l’histoire. Les fans de séries TV ont toujours des opinions fortes, positives comme négatives, sur la manière dont celles-ci progressent sous l’impulsion des scénaristes car ils ont placé leur confiance dans ces scénaristes et attendent d’eux qu’ils fassent honneur aux personnages et à l’historique de la série, et qu’ils sachent où celle-ci va (cf la communauté autour de la série TV Lost). Par ailleurs, la perspective de participer au processus de création n’est pas attirante pour tous les spectateurs : beaucoup préfèrent sans doute la passivité de l’expérience TV à une implication plus profonde. L’établissement d’une relation plus profonde entre contributeurs et contenus recherché par M. Wright pourrait donc n’être le fait que d’une fan base réduite.

Bar Karma website

Au bout du compte, et comme pour n’importe quelle autre série, la viabilité commerciale de Bar Karma sera déterminée par ses résultats d’audience. La chaîne Current TV est une chaîne mineure dans le paysage audiovisuel américain : lancée en 2005 et conçue comme une alternative aux chaînes d’information en place (MSNBC, CNN, Fox News) avant d’étendre ses programmes à de la fiction, Current TV est disponible dans environs 60M des 120M de foyers américains, a une audience faible et peut se permettre de prendre des risques avec des concepts innovants comme Bar Karma.

Il est possible que la création communautaire reste un phénomène de niche : Current TV n’a pas publié de chiffres d’audience pour Bar Karma (la chaîne rassemble habituellement 23 000 téléspectateurs sur sa case horaire du prime time) et n’a pas encore annoncé ses intentions concernant une saison 2 pour Bar Karma. Mais ce type d’initiative peut permettre à des chaînes mineures de se faire un nom et d’illustrer leur singularité dans le paysage audiovisuel. Et enfin, la création communautaire fait partie de ces concepts intellectuels intéressants, méritant d’être explorés à la Une de l’ère numérique.

Pour plus d’informations sur Bar Karma et Current TV, nous recommandons l’article publié dans le New York Times en février 2011 ainsi qu’une interview de Will Wright, co-créateur de la série.

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auteur Vanessa Meheut