Le transmedia et l’effet Koulechov : Pourquoi les auteurs devraient devenir technophiles
par Jérémy Pouilloux, publié le 8.12.2010
Vous souvenez-vous de l’effet Koulechov ? En 1922, Lev Koulechov, jeune directeur de l’Institut National de Cinématographie à Moscou, mène une série d’expériences dont une devenue célèbre à travers laquelle il démontre l’importance du montage dans la narration cinématographique.
Cette expérience consistait à soumettre un public à trois séquences constituées d’une part d’un plan d’un acteur avec une expression donnée que l’on retrouvait à l’identique dans les trois séquences, suivi d’autre part d’un plan fixe que l’on modifie à chaque fois, une fois une assiette de soupe, une autre fois un cercueil et enfin une femme allongée sur un canapé. Koulechov recueillait la réaction du public interrogé sur l’attitude de l’acteur, et invariablement trois attitudes se succédaient : faim, tristesse, désir.
Cette expérience peut nous paraître aujourd’hui un peu triviale du haut de nos cent ans de cinéma, mais elle met néanmoins en évidence et de manière simple ce qu’on appelle la contamination sémantique : les sens contenus indépendamment dans chacune des deux images sont différents du sens contenu dans l’association des deux images.
Je vous laisse regarder ce que ça donne
et pour le plaisir ce qu’en dit Alfred
et je continue.
Dans contamination sémantique, il y a sémantique ! Et qui dit sémantique aujourd’hui dit bien évidemment web. La sémantique est au web 3.0 ce que la participation et la sociabilité étaient au web 2.0. Mais ce que la contamination sémantique contient de transmédia est à chercher ailleurs (pour plus d’information sur le web 3.0, on pourra aller faire un tour de ,voire même de ce côté.
La narration transmédia se décline par définition sur plusieurs supports, cinéma, télévision, radio, web, mobile, jeux vidéos, vie réelle (affichage, évènementiels…).
Or, pour raconter une histoire sur plusieurs supports, les auteurs s’appliquent à raconter des histoires qui peuvent être appréciées de manière autonome sur chaque support, de sorte que le spectateur puisse accéder à l’univers sans être contraint de rebondir d’un support à l’autre.
L’asymétrie d’informations, qui naît de la multiplicité des supports, crée les conditions d’une contamination sémantique entre supports, à géométrie variable, et crée dans le même temps les conditions du partage de ces informations.
Prenons l’exemple d’une histoire d’amour qui finit mal (sic) et mettons que cette histoire nous soit racontée à travers une websérie et une série TV :
Didier et Valérie s’aiment. Mais l’amour finit par s’émousser et nos héros finissent par avoir des aventures extraconjugales. Il se trouve que dans la série TV, on ne sait jamais que Valérie trompe Didier. Seul Didier trompe Valérie, jusqu’à se faire attraper la main dans le sac. Didier passe donc pour un salaud, un faible, un mec « comme les autres ». Valérie quant à elle est dans la position de la victime.
Mais voilà qu’en regardant la websérie, on s’aperçoit que Valérie, elle aussi, et depuis longtemps, entretient une relation adultère. On s’aperçoit aussi que ce qu’elle dit de Didier est bien différent de ce qu’elle semble en penser dans la série TV. Etc, etc…
On comprend ici qu’en fonction du média que l’on regarde, notre perception ne sera pas la même, le sens change. Il y a contamination sémantique. Mais cette fois, ce sont les médias qui jouent le rôle que les images jouaient dans l’expérience de Koulechov.
En apportant un peu de sophistication à notre scénario (sur le plan de l’histoire ou sur le plan des médias utilisés), on entrevoit aisément que la contamination sémantique entre médias est une source particulièrement riche en matière de narration.
On comprend également pourquoi les créations transmédia sont porteuses de sociabilisation et de circulation d’audience : en réintroduisant une asymétrie d’information entre spectateurs (certains auront vu des choses que d’autres n’auront pas vu), on renouvelle l’échange d’informations, on crée les conditions du lien, les bases d’une culture commune.
A vos plumes donc !
L’exemple de la femme adultère est bien choisi, on voit toute la force du transmédia avec 2 points de vue pour 2 médias différents. Je n’aurais pas pensé à le rapprocher de l’effet koulechov mais c’est extrêmement pertinent.
excepté que dans l’effet Koulechov la vision est quasi simultanée, ce qui n’est pas le cas avec des supports différents (ou alors il faut être très fort
)
Tout à fait d’accord avec la fin du post, mais cet échange d’informations entre les spectateurs doit il être organisé par le story achitect ou doit il le subir ?
En d’autres termes, cette « culture commune » doit elle faire partie de la narration ou doit elle être un « passager clandestin » ?
Hervé,
Pour répondre à vos questions, je dirais : les deux mon capitaine !
De nombreux projets ne prennent que des « passagers clandestins » et n’en restent pas moins intéressants, tandis que dans une série comme Lost par exemple, la « culture commune » a clairement fait partie de la narration avec beaucoup de plaisir de part et d’autre.
Merci pour vos commentaires.
JP.