Les Licences Creative Commons

par Sebastien Lachaussee et Rym Soussi , publié le 9.08.2011

Les professionnels du transmedia l’invoquent souvent : la législation française peut difficilement se plier aux besoins des créateurs pour ces projets. Elle est même assez contraignante quant il s’agit des UGC ou des œuvres libres de droits. Sébastien Lachaussée, avocat à la Cour, et Rym Soussi nous expliquent ce que sont les licences Creative Commons et comment elles peuvent être utilisées en France.

Les licences Creative Commons sont nées des licences de logiciels libres (GPL) imaginées par Richard Stallman, chercheur au MIT de Boston. En opérant à titre gratuit une cession par l’auteur de ses droits au profit de tout utilisateur de l’œuvre mise à disposition sous cette licence, les licences Creative Commons veulent offrir un cadre légal aux usages de libre partage des contenus nés de la révolution Internet.

Les licences Creative Commons, ont à la suite des licences de logiciel libre, connus un succès important sur le web au vu des nombreuses critiques émises par les internautes à l’égard des droits de propriété intellectuelle jugés trop exclusifs, trop nombreux, trop lourds à gérer dans l’univers numérique. Il faut bien reconnaître que l’effectivité de nos systèmes juridiques est mise à rude épreuve par la facilité de reproduction des œuvres sur Internet, face à la multitude des procédures d’échange, de partage, de transfert de données et de documents. Qu’apportent ces licences par rapport aux relations contractuelles classiques et quelle est leur articulation avec le droit de la propriété intellectuelle ?

Le mécanisme

Les licences Creative Commons veulent prendre acte de cette facilité d’échange en proposant un outil juridique simplifié qui garantit à la fois, une circulation libre et gratuite des œuvres sur internet, mais aussi la protection des droits d’auteur. La caractéristique fondamentale de ces licences repose sur leur aspect modulaire. Le travail de vulgarisation et de simplification, notamment par l’usage de pictogrammes, les rendent accessibles par l’ensemble des utilisateurs, qui, sous réserve de respecter les conditions d’exploitation de l’œuvre, pourront l’échanger, la dupliquer, l’altérer, voire l’exploiter commercialement. Ces licences, permettent aisément de partager des œuvres pour les créateurs, et de les utiliser sans avoir à contacter le créateur au préalable pour demander son autorisation.

Tout type d’œuvre, à condition d’être originale, peut être concernée. Les auteurs choisissent, parmi différents contrats-types proposés par la Fondation Creative Commons, les plus adaptés à leur volonté de diffusion de leur œuvre. Les licences Creative Commons définissent les faits et les conditions dans lesquelles l’utilisation gratuite de l’œuvre est autorisée.

En France, l’auteur dispose d’un choix entre six licences :

- Licence « paternité »

- Licence « paternité – pas de modification »

- Licence « paternité – pas d’utilisation commerciale – pas de modification »

- Licence « paternité – pas d’utilisation commerciale »

- Licence « paternité – pas d’utilisation commerciale – partage des conditions à l’identique »

- Licence « paternité – partage des conditions à l’identique »

L’auteur peut ainsi consentir à la duplication de l’œuvre avec altération ou à l’identique ou au contraire interdire toute modification. Il peut également autoriser une utilisation commerciale ou au contraire la proscrire, permettre la diffusion aux mêmes conditions, ces différentes options étant combinables sous réserve de toujours citer le nom de l’auteur.

 

Creative Commons et droit d’auteur

Le régime instauré par les licences Creative Commons ne peut pas faire abstraction du droit de la propriété intellectuelle français. Or le principe même de ces licences procède d’un paradoxe et constituent un bouleversement pour le droit d’auteur français. En effet, alors que le droit d’auteur est un droit exclusif que le titulaire oppose à tous et monnaye, les licences tendent à utiliser le droit d’auteur pour favoriser le partage et l’échange et aboutir ainsi à une libre circulation de l’oeuvre.

Ce renversement procède d’une « restructuration » du droit d’auteur et pose quelques difficultés au regard de la licéité de ces licences. En premier lieu, le terme « licence » n’est pas reconnu par le Code de la Propriété Intellectuelle. Le seul mécanisme contractuel connu en propriété littéraire et artistique est la cession (L. 122-7, L. 131-3 du CPI). Celle-ci est paramétrée en termes de durée et d’espace, contrairement aux licences libres dont la plupart sont caractérisées par l’absence de durée et dont l’objet du contrat va plus loin que ce que permet la loi puisqu’il transmet une autorisation d’exploitation à titre non exclusif, avec la possibilité de modifier l’œuvre et de la redistribuer.

L’œuvre de l’auteur soumise aux licences Creative Commons reste régie par le Code de la Propriété Intellectuelle. Le droit moral, droit inaliénable d’ordre public auquel l’auteur ne peut renoncer, continuera à s’imposer aux utilisateurs de l’œuvre. Il en ressort qu’un contrat imposant à l’auteur de renoncer définitivement à son droit à la paternité serait nul. Aussi, depuis la deuxième version 2.0 des licences Creative Commons, « l’exigence de paternité » est devenue une condition inamovible des licences Creative Commons, conformément au droit d’auteur français.

De plus, le droit français ne reconnait pas la cession générale de droits, ou la notion « libre de droits ». Par conséquent,  les contrats qui prévoient une cession de droits pour tous les modes d’exploitation, tous les supports, ad vitam aeternam et pour le monde entier, sont jugés abusifs et encourent la nullité. La raison étant qu’ils ne définissent pas clairement l’étendue de la cession des droits d’auteur telle que prescrite par l’article L 131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Cette question illustre bien les difficultés qui ont été posées par la transposition de ces licences à la législation française en vigueur, notamment au regard des droits moraux.

Toutefois, les licences Creative Commons tentent bien de se conformer au formalisme des contrats de cession de droits de propriété littéraire et artistique tel que instauré par l’article 131-3 du CPI. Ainsi doivent-elles mentionner chaque droit cédé (à savoir si la cession concerne un droit de représentation, reproduction ou de  traduction) et en limiter l’étendue, la destination, le lieu et la durée de l’exploitation (celle-ci doit être obligatoirement déterminée et limitée dans le temps). La protection de l’œuvre par la licence Creative Commons et sa durée d’exploitation répondent ainsi fidèlement au Code de la propriété intellectuelle. L’étendue, au monde entier, est aussi identifiée et calquée sur le droit français.

En outre, concernant la cession à titre gratuit, l’article L 122-7 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux» et l’article 122-7-1 spécifie que « l’auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues ». Ces dispositions ont été spécifiquement insérées dans notre législation pour prendre en compte les licences du « libre ».

Néanmoins, dans le même temps la jurisprudence condamne des contrats ne prévoyant pas de rémunération sérieuse pour les auteurs sur le fondement de l’article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle. Toutefois, la doctrine et la jurisprudence admettent la légalité dans le cadre de l’article L.122-7 lorsque la mise à disposition gratuite  et volontaire de l’œuvre par l’auteur intervient en contrepartie d’une publicité recherchée du fait de la diffusion ainsi accrue de l’œuvre. Il est enfin peut probable que les juges considèrent licite une cession à titre gratuit par le biais de licences prévoyant une exploitation commerciale de l’œuvre.

Mais le principal conflit entre droit d’auteur et licences Creative Commons, réside dans les principes du droit moral. Celui-ci, d’ordre public, est inaliénable, imprescriptible et insaisissable, plaçant l’auteur dans l’impossibilité d’y renoncer. A cet égard, la question de la validité des licences, dont l’intérêt majeur est d’autoriser les modifications de l’œuvre, est mise en exergue.

Elle se pose en premier lieu au regard du droit au respect de l’œuvre consacré par l’article L212-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, grâce auquel l’auteur peut s’opposer à toute modification susceptible de dénaturer son œuvre. Dans un contexte tel qu’établi par ces licences libres, comment l’auteur peut-il évaluer la modification portée à son œuvre et à quel moment peut-il décider qu’elle porte atteinte au droit au respect de son œuvre? Une tentative de réponse risque néanmoins d’être vaine car le droit au respect de l’œuvre peut constituer un obstacle à une telle autorisation. Le principe de l’inaliénabilité du droit au respect de l’œuvre, principe d’ordre public, a été rappelé par La Cour de cassation selon laquelle il « s’oppose à ce que l’auteur abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l’appréciation exclusive des utilisation, diffusion, adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels il plairait à ce dernier de procéder ». Ainsi, seules sont valides les ratifications, c’est-à-dire les approbations, les renonciations données en pleine connaissance de cause, à posteriori. Il est logique de ne pouvoir concevoir que l’auteur accepte à priori des modifications de son œuvre que, par définition, il ne connaît pas encore. L’obstacle du droit au respect concernant les œuvres soumises au droit commun du droit d’auteur risque donc de remettre en cause la légitimité des Licences Creative Commons. Toutefois, le fait pour l’auteur d’autoriser à l’avance des modifications n’équivaut pas à un renoncement au droit au respect de l’œuvre puisque, dans l’hypothèse où la modification aliènerait ou dénaturerait l’oeuvre originale, un recours fondé sur le droit au respect en cas de préjudice reste toujours possible.

En conclusion, malgré les efforts réalisés par les rédacteurs des licences Créative Commons, d’une part et par le législateur français d’autre part, les problèmes de compatibilité demeurent sur les licences Creative Commons prévoyant les possibilités de modifier l’œuvre ou de l’utiliser commercialement. Si les licences Creative Commons sont un outil efficace pour encadrer le partage gratuit des œuvres, toute exploitation commerciale ne pourra faire l’économie d’utiliser des contrats de cession classiques.

Article initialement publié sur avocat-l.com

 

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auteur Sebastien Lachaussee et Rym Soussi