Cinéma et Transmedia, un couple Assorti ? 1/2

par Oriane Hurard, publié le 15.03.2012

A l’occasion du festival Hors Pistes, le 8 février dernier avait lieu au Centre Pompidou une conférence « A la découverte du transmedia ». Les liens entre transmedia et cinéma (d’auteur) y ont été abordés de manière plutôt originale et très intéressante grâce aux interventions de , directeur d’ARTE Cinéma et Luigi Magri, exploitant du cinéma Jacques Tati à Tremblay-en-France aux côtés de et de , qui animait la rencontre. L’occasion pour nous de revenir sur ces rapports pas toujours évidents : entre accompagnement marketing des blockbusters et expérimentations marginales, quelle place peut-on imaginer pour le transmedia au cinéma (et inversement) ?

 

 

Hollywood et transmedia : un mariage d’argent

 

Un des exemples majeurs et fréquemment cités de l’univers transmedia provient précisément du monde du cinéma : , dispositif ARG autour de The Dark Knight de Christopher Nolan, reboot de la franchise Batman. D’énormes moyens et un engagement tout aussi important de la part des fans de la franchise ont permis à Why So Serious de s’ériger encore aujourd’hui en modèle du genre, presque cinq ans plus tard.

De nombreuses autres franchises cinématographiques, récentes ou déjà cultes, peuvent être considérées comme incorporant elles aussi un univers transmedia : Harry Potter et son Pottermore, la galaxie Star Wars, l’univers énigmatique de Millenium … Ces exemples font figure d’exception, tant par leur ampleur et leur budget hors-normes que par le côté plutôt promotionnel du transmedia, s’éloignant quelque peu de l’œuvre en elle-même pour lorgner du côté du marketing.

 

Le cinéma interactif : le retour à la salle comme sanctuaire

 

Autre exemple également bien connu, plus intéressant en terme de proposition purement cinématographique – puisque s’insérant au sein même du médium de la salle de cinéma -, c’est l’expérimentation interactive et narrative réalisée par la chaine 13th Street et l’agence Jung von Matt en Allemagne à l’occasion de la projection d’un film d’horreur. Dans Last Call : « The first Interactive Theatrical », l’héroïne en danger appelait les spectateurs en direct pour leur demander de l’aide à différents points du film.

Réalisée au début de l’année 2010, on assiste ici à un véritable premier essai de cinéma interactif, où le public interagit avec les personnages à l’écran de manière très immersive.

Sans même évoquer la question de la connexion réseau dans les salles obscures ainsi que l’obligation de récolter en amont les numéros de téléphones des spectateurs (ce qui réduit d’autant l’effet de surprise pourtant fondamental), se pose ici la question de l’intérêt à long terme de cette forme d’interactivité, circonscrite aux capacités limitées de la reconnaissance vocale.

Depuis Last Call, d’autres types d’interactions se développent sur grand écran, notamment dans les domaines de reconnaissance de mouvement et l’intégration en direct du public sur l’écran, comme en témoigne ce récent article centré sur ces innovations dans la publicité.

 

La salle de cinéma à l’épreuve du transmedia : l’exemple de Trafics

 

Lors de la conférence d’Hors Pistes, la question de l’interactivité au cinéma s’est alors posée, non plus pour le cinéma blockbuster, le cinéma de genre ou la publicité, mais pour le cinéma d’auteur, à l’économie plus fragile mais aux possibilités créatives tout aussi (sinon plus) infinies.

Comment, en effet, accompagner la mutation de l’expérience cinéma, en s’inscrivant dans l’évolution numérique autrement par le simple procédé de projection ? Comment mieux communiquer, comment interagir avec les spectateurs ?

Pour Luigi Magri, exploitant des trois salles du cinéma Jacques Tati de Tremblay-en-France, il s’agit d’abord de décloisonner la salle de cinéma, transformer les genres, y faire venir d’autres disciplines : « Avec l’équipement numérique de la salle, on a pris conscience de toutes les possibilités technologiques qui s’offrent à nous en terme de contenus alternatifs. Dans le même temps, numérique et multimédia deviennent omniprésents dans des pratiques artistiques telles que le spectacle vivant, le théâtre, la danse, la peinture. »

Passionné par cette idée de pluridisciplinarité, il a donc initié durant l’automne 2011 la manifestation « TraficS » : la « diffusion » quatre expériences très différentes, qu’on peut rassembler sous le terme de cinéma transmedia tant les quatre œuvres sont à la croisée des arts, entre spectacle vivant, projection et art interactif.

Entre octobre et décembre dernier, l’art et essai de Tremblay-en-France s’est ainsi essayé au « hors-cinéma ».

 

 

  • Tarentelle (Histoire de la tache) de Marie-Laure Cazin : un « anti-cinéconcert » où les musiciens sur scène provoquent le remontage du film en direct. Les interactions sont à la fois automatiques (vibration, colorimétrie et vitesse du film) et manuelles, puisqu’une monteuse présente dans la salle intervient également sur le déroulement du film.

 

  • Laboratoire pour une salle interactive : Palombella Rossa, expérience menée par Eugenio Renzi (proposée dans le cadre des Rencontres Cinématographiques de Seine-Saint-Denis) : promenade interactive entre le film,  un iPad et Internet autour du film de Nanni Moretti et de la politique italienne.

 

  • Méta-danse du chorégraphe Hamid Ben Mahi (compagnie Puce Muse) : performance dansée, musicale et visuelle  créée en collaboration avec le musicien Serge de Laubier, compositeur et chercheur autour de la musique numérique.

Living cinema, iSalle, cinéma interactif ou performance audio-visuel : l’ensemble de ces différents termes, tous revendiqués par un ou plusieurs des artistes cités ci-dessus, se rejoignent dans l’idée d’une expérience unique et multiple à la fois, dont le sanctuaire de la salle de cinéma est sans conteste le meilleur écrin pour capter l’attention et la participation du spectateur.

Pour Luigi Magri, ces expériences remettent à nouveau l’humain-spectateur au cœur du dispositif, comme lors des débuts du cinéma : le spectateur redevient actif dans la salle, et la force de l’expérience collective est à nouveau recherchée et valorisée, puisqu’elle peut modifier le contenu projeté.

Le fait d’avoir relié volontairement à Internet les salles de son cinéma est symptomatique de la vision du cinéma selon Luigi Magri : que ce soit sur le grand écran ou bien sur les écrans individuels des spectateurs, l’interactivité est à ses yeux essentielle pour maintenir l’intérêt et l’activité de salles comme les siennes aux yeux de ses usagers – quitte à bousculer un peu son public en lui proposant des œuvres aussi expérimentales que cet automne.

Rendue possible grâce aux aides financières de la municipalité et du Conseil Général, la manifestation TraficS reste avant tout un prototype de manifestation, présentant des œuvres qui elles-mêmes ont été subventionnés par les pouvoirs publics ou les différentes aides apportées à la création (bourses, résidences d’artistes, etc.). Aussi fortes et singulières soient-elles, ces œuvres témoignent également de la réalité d’une économie qui reste encore subventionnée et expérimentale.

Face à une industrie plus fragile qu’on ne le croit, le transmedia pourrait apporter à la salle de cinéma ce qui lui manquait pour rester le centre d’une expérience immersive inégalée, à condition de pouvoir la valoriser à travers le soutien aux nouvelles écritures et l’émergence de nouveaux modes de diffusion, en dehors des circuits classiques de programmation.

Dans un article à venir, on continuera cette exploration du « cinéma transmedia » avec des exemples toujours issus du cinéma d’auteur, mais dans une dimension supérieure : entre Louise Wimmer de Cyril Mennegun et Swixt de Coppola, on découvrir également quels sont les prochains projets transmedia d’ARTE Cinéma, portés par l’inépuisable Michel Reilhac.


auteur Oriane Hurard

Actuellement chargée de coordination de Transmedia Immersive University, laboratoire de formation et de création initié par Jérémy Pouilloux (La Générale de Production). Auparavant, Oriane a passé neuf mois chez Happy Fannie en tant que Community manager sur le feuilleton transmedia "Fanfan2, Quinze ans après". Encore avant, elle a écrit son mémoire de fin d’études sur l’écriture transmedia dans la fiction française, avec lequel elle a été diplômée du Master de Production Audiovisuelle et Numérique de l’Ina SUP

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